Le 14 juin 2018, Cyril Le Picard cédera sa place à la présidence de France Bois Forêt, sur le principe statutaire de l’alternance des Collèges. L’occasion de retracer ses trois ans de mandat. Quels ont été les moments les plus forts ? Quels enseignements tire-t-il de cette expérience ? Et quelles recommandations donnerait-il à son successeur ? Interview.
La Lettre B – Quels étaient vos objectifs lorsque vous êtes arrivé à la présidence de France Bois Forêt, en 2015 ?
Cyril Le Picard – J’avais établi trois grandes priorités. La première consistait à faire appliquer la loi de 2014 rendant obligatoire la création d’une section spécialisée pin maritime au sein de l’Interprofession nationale ; après une concertation de 18 mois, conduite avec le médiateur Jean-Yves Caullet, un accord a été signé le 7 décembre 2016 entre France Bois Forêt et les représentants du Sysso-CIPM*.
La section pin maritime est, aujourd’hui, opérationnelle, et de nombreux programmes sont en préparation.
Mon deuxième objectif prioritaire était de rassembler le conseil d’administration autour d’une action volontariste forte : la campagne stratégique de communication nationale. L’action du groupe de Travail Com, associée à la volonté de tous de porter des messages communs, a abouti à une opération de grande envergure lancée en septembre 2017 pour trois ans : « Pour moi, c’est le bois ». L’ensemble des membres de France Bois Forêt et de France Bois Régions se sont très vite approprié les outils de la campagne. Elle va monter en puissance cette année grâce à la diffusion de spots TV notamment, puis en 2019. Nous pouvons dire que l’Interprofession parle, aujourd’hui, d’une même voix.
Reconstruire une information dynamique et transparente auprès des contributeurs de la CVO était une autre de mes ambitions. Pour cela, France Bois Forêt a notamment poursuivi l’édition de La Lettre B, débutée en 2012 par la Fédération nationale du bois, afin d’en faire un outil de clarification efficace sur l’évolution des montants de la CVO (passés de 6,5 à 9 millions d’euros en trois ans) et l’utilisation concrète de ces montants dans des programmes qui font avancer notre filière.
À ces grands sujets, s’ajoutent, bien sûr, d’autres temps forts, comme l’entrée des représentants des treize interprofessions régionales au conseil d’administration de France Bois Forêt, ou l’élargissement des partenariats avec l’arrivée de PEFC et de l’IGN. Je citerais également la mise en place via un partenariat public/privé de la veille économique mutualisée (VEM), un outil essentiel pour l’avenir de la forêt et du bois. Enfin, je n’oublie pas l’implication de notre Interprofession dans le programme national Adivbois, ni le rôle essentiel que nous jouons à l’international au sein de l’association Frenchtimber.
La Lettre B – Quel regard portez-vous sur la fonction de président après ces trois années d’exercice, et quels conseils donneriez-vous à votre successeur ?
Cyril Le Picard – J’ai une devise personnelle : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends. »
J’ai eu quelques succès grâce à l’équipe de France Bois Forêt. Et j’ai, bien sûr, beaucoup appris. Si le rôle premier du président est de proposer des actions, de les faire valider et de les appliquer, il faut aussi savoir écouter et composer, prendre en compte les contraintes et les attentes des uns et des autres, négocier et discuter… Pour cela, la présence sur le terrain est essentielle, aussi bien auprès des acteurs de la filière que des partenaires politiques et économiques.
À mon successeur, je conseillerais de prendre en compte le travail qui a été réalisé jusqu’ici et de tenter de le poursuivre. Sur le fond, il est important de s’emparer de sujets politico-économiques transverses. Je pense par exemple aux exportations de grumes françaises vers la Chine, au plan filière-feuillus ou à la contribution climat du bois à travers la taxe carbone, mais il y en a beaucoup d’autres. Cela permettrait à France Bois Forêt d’agir à des niveaux plus élevés et d’imposer notre filière comme une interlocutrice et une force de proposition incontournable auprès des pouvoirs publics.
* Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest Comité interprofessionnel du pin maritime
Laurent Denormandie, président de France Bois Forêt de 2012 à 2015
« Le rôle de président de l’Interprofession nationale est un travail d’équilibriste. Ainsi, aucun n’échappe à la règle de l’exercice « académique » et « diplomatique » de la rédaction, puis de la signature par les Organisations représentatives (OP) de l’Accord interprofessionnel, accord qui doit ensuite obtenir le sésame de l’ « extension » par les pouvoirs publics. Pour mémoire, les OP ont adopté l’accord 2014-2016 à l’unanimité, le 11 septembre 2013.
Sur le plan des contrôles institutionnels et économiques, la Cour des comptes a procédé à une « grande visite » de la filière forêt-bois en 2013 : Codifab, CNDB, ONF, CNPF… et FBF. Nous avons tout mis en œuvre pour respecter les quatorze recommandations de la Cour des comptes. Nos réserves notamment – à l’époque, importantes – ont été intégralement réinjectées dans plusieurs programmes au service de la filière.
Côté gouvernance, nos statuts, tout comme le règlement intérieur, n’avaient subi aucun « toilettage » depuis 2005. Leur révision a été officiellement actée lors du conseil d’administration du 4 décembre 2014. Sur le plan administratif, nous avons mis en place la dématérialisation des programmes de financements, procédé à l’installation du nouveau siège de FBF au sein de Cap 120, à Paris, aux côtés de celui du Codifab, dans l’immeuble de l’Union nationale des industries de l’Ameublement français (Unifa). Un rapprochement permettant une collaboration plus efficace.
Parmi les temps forts de mon mandat, je signalerais, outre les nombreux programmes de R&D, la plantation, avec le ministre Stéphane Le Foll, dans les jardins du ministère de l’Agriculture en charge des forêts, du 100 000e arbre de l’opération « Plus d’arbres, plus de vie ». Nous avons également soutenu les évènements de la Cop 21, avec la conférence sur le climat de décembre 2015, la réalisation d’une tour eiffel en bois et d’un aménagement paysager place du Palais-Royal. Citons, par ailleurs, le colloque «Investir pour l’avenir», organisé par FBF, l’Asffor (sociétés et groupements fonciers et forestiers) et FBIE (France Bois Industries Entreprises), le 5 novembre 2015. Sans oublier l’Exposition universelle de Milan inaugurée le 1er mai 2015 ; le Pavillon France, tout en bois du Jura certifié PEFC, a permis de valoriser les savoir-faire de nos professionnels.
Enfin, je ne peux évoquer France Bois Forêt sans rendre hommage au président de la FNCOFOR (Fédération nationale des communes forestières), Jean-Claude Monin, disparu en novembre 2014. »
Jean-Pierre Michel, président de France Bois Forêt de 2009 à 2012
« Être président d’une interprofession, ce n’est pas comme en politique : le mandat dure trois ans et n’est pas renouvelable, ce qui permet d’aller jusqu’au bout de ses actions, sans se soucier d’une éventuelle réélection. Et trois ans, c’est court et long à la fois : court parce que la tâche est immense et qu’il y a beaucoup à faire, long parce que c’est une lourde responsabilité d’être mandaté pour représenter une filière avec plus de 400 000 emplois directs et indirects.
Lorsque je suis arrivé, en 2009, pour la deuxième mandature de France Bois Forêt, mon prédécesseur avait « essuyé les plâtres », et mon rôle a été de donner une vitesse de croisière
à nos actions. J’ai axé ma présidence sur trois grandes missions : le financement via la CVO,
la communication et l’innovation. Sur le premier point, il s’agissait de faire contribuer l’ensemble de la filière. Je rappelle que, à l’époque, tous les professionnels ne se considéraient pas comme redevables de la CVO, ce qui constituait une concurrence déloyale de fait. Les montants ainsi perçus sont passés de 2,4 à 6 millions d’euros entre 2009 et 2012.
Deuxième grande thématique : la communication, à laquelle nous avons décidé de consacrer 40 % du budget de l’Interprofession. Un moment fort s’est tenu en mai 2010, à Paris : pendant deux jours, l’opération « Nature Capitale » a transformé les Champs-Élysées en un vaste plateau végétal accueillant 650 grands arbres et 150 000 jeunes plants, le tout sur 10 000 palettes géolocalisées au centimètre près. Plus de deux millions de personnes, dont un président de la République et quelques ministres, ont participé à l’événement, la première grande action de communication pour France Bois Forêt, aux côtés du syndicat Jeunes Agriculteurs qui, vingt ans plus tôt, avaient moissonné les Champs-Élysées.
Lors de ma mandature, j’ai également souhaité faire de l’innovation un moteur pour l’avenir de la filière. C’est dans ce cadre que j’ai initié l’organisation d’un Forum Franco-Québécois, dont la première édition a eu lieu à Paris, en septembre 2013.
Il s’agissait d’échanger et de partager avec nos homologues d’outre-Atlantique, pour qui l’innovation était au cœur de la stratégie de développement depuis fort longtemps. Au vu du succès rencontré lors de cette première édition et de celles qui ont suivi, je sais que je ne m’étais pas trompé.
Je n’ai qu’un regret, celui de ne pas avoir pu aboutir sur la question du Fonds Stratégique Carbone. Présenté fin 2011 au président de la République, le projet a été victime du calendrier : élections présidentielles en mai 2012, changement de présidence à la tête de France Bois Forêt. Je suis pourtant persuadé que nous aurions pu prendre de l’avance sur ce sujet devenu essentiel aujourd’hui.
Au futur président, je recommanderais de poursuivre sur la voie de l’innovation, de veiller à défendre l’intérêt général en travaillant pour l’ensemble des membres de FBF, et de penser à faire appel à son prédécesseur lorsque le besoin s’en fait sentir. Profiter de son expérience ne peut être que bénéfique pour la continuité des actions. »
Dominique Juillot, président de France Bois Forêt de 2005 à 2009
« J’ai vécu la présidence de France Bois Forêt comme une belle aventure. D’abord, parce que c’était le moment de la création de l’Interprofession, comme émanation du CIB, et donc la première mandature. Ensuite, parce que, pour la première fois, l’ensemble de la filière était représenté au sein d’une seule entité. Jusqu’ici, nous agissions de façon dispersée et n’avions guère de poids sur les questions transverses à toute la profession. Avec la création de France Bois Forêt, nous pouvions parler d’une même voix. Je regrette, cependant, de ne pas avoir réussi à convaincre l’aval de la filière de s’impliquer davantage dans cette démarche collective ; on en mesure les conséquences encore aujourd’hui avec une industrie du bois dans toutes ses composantes qui est loin de peser aussi lourd que ses concurrentes.
Je suis, par ailleurs, très satisfait d’avoir pu mettre en place les moyens financiers adéquats. Rappelons que la CVO n’existait pas jusque-là, et qu’il n’était guère aisé de créer une cotisation supplémentaire, alors que le Fonds forestier national avait disparu. Je salue d’ailleurs l’Office national des forêts, les communes forestières, les propriétaires privés et les coopératives qui ont joué le jeu et participé à la création de cette cotisation. La CVO a permis de souder la profession en finançant de nombreux projets nationaux et régionaux, et l’on en connaît, aujourd’hui, toute l’importance.
Au futur président de France Bois Forêt, je recommanderais d’aller plus loin dans la recherche d’une meilleure cohésion entre l’amont et l’aval. Il faut aller au combat ensemble autour d’un objectif commun et de solutions pérennes pour toute la filière. Pour cela, un véritable portage politique est nécessaire, notamment au sein de nos deux assemblées, afin que les députés et sénateurs délivrent un message unitaire auprès des différents gouvernements. C’est la condition indispensable à une filière forêt-bois à la hauteur des enjeux attendus pour notre pays. »