La maison en bordure de ria : influences d’ici et d’ailleurs

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© Photos : Olivier Martin Gambier 

CONSTRUCTION / MAISON INDIVIDUELLE 

* THÈME : construire selon une démarc he bioclimatique
* ESSENCES FRANÇAISES : pin Douglas (Nouvelle-Aquitaine), mélèze, bouleau et chêne
* ENTREPRISES BOIS : Structure et Bois (membre du réseau Abibois), Laurent Boullic (Compagnon du Devoir) ; DLB (mobilier en bois, Gouesnou, 29)
* ANNÉE DE LIVRAISON : fin 2018
* LIEU : Plobannalec-Lesconil, Finistère (29), Bretagne
* SITE INTERNET : iwa_arc hitecture.houzz.fr 

Philippe Moré a deux passions : l’architecture et le Japon. Et la maison en bois français qu’il a imaginée et réalisée à Plobannalec- Lesconil en est l’illustration. Une réalisation bien ancrée dans son contexte breton, qui dévoile toutefois ses influences nipponnes. 

Cette maison à ossature bois est largement ouverte sur la ria.
À l’étage, les fenêtres en bandeau (espace bureau, chambre enfant) font écho à celle du rez-de-chaussée qui correspond à la chambre des parents. Toutes les chambres sont orientées vers l’est pour bénéficier du soleil levant.

« Le bois était un objectif pour moi. Il m’a permis de réaliser une synthèse entre ce que j’aime de l’architecture traditionnelle japonaise et notre mode de vie contemporain en Occident », explique l’architecte Philippe Moré, demi-finaliste du prix Archinovo 2019 (prix d’architecture consacré à la maison contemporaine) pour sa première maison (Iwa) qui pose les principes fondateurs que l’on retrouve dans cette réalisation à Plobannalec-Lesconil. Si cette maison rappelle l’architecture vernaculaire de son coin de Bretagne, le fil conducteur déroulé ici vient bien du Japon. Entre autres constructions qui ont marqué l’imaginaire de cet architecte, la Maison du trésor à Nara (voir encadré), un bâti tout en bois datant du 8e siècle et toujours intact aujourd’hui. C’est donc tout naturellement le bois – « exclusivement d’origine française » – que Philippe Moré a privilégié sur ce projet. 

Une serre bioclimatique
Implantée sur un terrain rectangulaire de 1 334 m2, la maison, orientée nord-sud, est intimement connectée à « l’élément eau », toutes ses vues tournées vers la ria au nord. Son habillage en mélèze, un bois très bien adapté à un usage extérieur, est passé au noir de falun. « Ce pigment naturel issu des mines de cuivre en Suède lui confère une profondeur et une densité particulières », non sans rappeler celle de l’encre de Chine. Une matité aqueuse renforcée par le bardage agricole traditionnel : soit des lames de largeur inégale posées côte à côte avec un contre-lattage de protection sur le joint. « Ce qui imprime un rythme sur lequel joue la lumière du soleil au fil de la journée. Un rendu unique qui ne pourrait être obtenu par les classiques peintures extérieures », précise Philippe Moré.
Cette réalisation à ossature bois (pin Douglas) reprend les grands principes de l’architecture bioclimatique. À savoir, une bonne intégration au site, notamment pour valoriser les apports solaires, et l’utilisation de matériaux durables. La partie habitable de 110 m2 est isolée thermiquement avec de la ouate de cellulose dans les murs, les rampants de toiture et la dalle en béton – béton surfacé quartzé dans l’appentis. Elle se prolonge d’un appentis non isolé qui abrite une serre bioclimatique de 24 m2 en polycarbonate ondulé, d’un atelier et d’un portique couvert servant de passage jusqu’à la porte d’entrée qui donne sur ladite serre. Celle-ci joue le rôle de tampon thermique entre la partie non isolée et l’habitation proprement dite. Plus concrètement, en hiver, la chaleur accumulée dans la dalle grâce à l’inertie du béton se diffuse et réchauffe l’espace ; en été, les vantaux coulissants est et ouest s’ouvrant sur toute leur longueur assurent une ventilation naturelle et empêchent ainsi les surchauffes. Par ailleurs, la baie vitrée à triple battant, séparant partie habitable et serre, une fois totalement repliée en accordéon, libère un espace de plus de 50 m2. 

Le savoir-faire des Compagnons 

Un tampon non seulement thermique, mais aussi visuel qui vient sublimer l’espace. Là non plus, le Japon n’est pas loin : « Cette serre est une réinterprétation de l’engawa1 japonaise. Pas au premier degré ! En architecture, il faut toujours une “exégèse” pour repenser ces éléments extraits d’une culture étrangère en fonction de notre sensibilité, de notre imaginaire et de notre mode de vie occidental, souligne Philippe Moré. Le projet de Plobannalec-Lesconil est le résultat d’un souffle. Enlever le superflu pour ne garder que l’essentiel, qui est le programme, le mode de vie, la vue et les relations intérieures/extérieures », poursuit l’architecte. 

Bien sûr, le contexte a justifié le concept. À savoir, le site sur lequel s’assoit tout le projet, ainsi que son environnement, son histoire, l’architecture alentour, bonne ou mauvaise (en l’occurrence, ici, la mer). « Il doit y avoir une cohérence. » Un ensemble de contraintes qui a dicté l’organisation des espaces intérieurs et leur relation entre eux (pièce à usage multiple, absence de couloirs, premier étage qui fait écho au rez-de-chaussée…), et avec l’extérieur. « Il y a toute une logique interne, la forme extérieure étant la résultante du plan intérieur. Et quand le résultat est “beau”, c’est qu’il y a une authenticité architecturale qui résulte de la mise en évidence de cette logique interne. » 

Au-delà des passerelles entre Orient et Occident, Philippe Moré avait également la volonté de réhabiliter le travail de l’artisan en faisant appel à des professionnels de haut vol.

Tel le Compagnon Laurent Boulic, chef de projet Structure et Bois, qui a accueilli dans sa structure un autre Compagnon couvreur pour la toiture d’ardoises. Ou encore l’entreprise DLB, spécialisée dans la restauration de mobilier historique, qui a conçu l’ensemble des meubles en bouleau (cuisine, salles de bains, chambre parentale et rangements en panneaux contreplaqués de 18 mm d’épaisseur) ou chêne (plans de travail et vasques en panneaux massifs 5 plis de 40 mm d’épaisseur). « Du sur-mesure, et au millimètre près ! » Mettre en avant ces savoir-faire était fondamental pour Philippe Moré : « C’est un enjeu pour la filière. Le bois demande une haute technicité. Compagnons menuisiers, charpentiers ou couvreurs l’ont ; et leur connaissance parfaite du matériau brut et leur maîtrise de l’outil aboutissent à une exécution parfaite. » 

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1 Bande de sol suspendue, généralement en bois, et se trouvant juste devant la fenêtre ou les volets des pièces dans les maisons traditionnelles japonaises. Depuis peu, ce terme peut aussi désigner la véranda à l’extérieur de la pièce. 

Le poêle à bois, seul chauffage de la maison. L’espace de la trémie où passe le tuyau permet une circulation libre de l’air et de la chaleur.
Le parquet en chêne massif à larges lattes est posé traditionnellement sur lambourdes.

Question à Philippe Moré, Iwa Atelier d’architecture 

Vous avez vécu et travaillé au Japon, vous pratiquez la calligraphie, vous êtes Breton. Cette maison en bordure de ria concentre toutes ces influences. Expliquez-nous… 

Quand je parle de cette maison, j’emploie le mot austérité, un terme mal perçu en raison de sa connotation négative. Or l’austérité est la preuve que l’on s’est détaché du superficiel pour ne retenir que l’essentiel. L’architecture traditionnelle du Japon a eu une immense influence sur mon imaginaire. Notamment le très austère Shōsō-in (la maison du trésor, littéralement, « le pavillon du grenier ») à Nara. Ce pavillon en bois construit au 8e siècle était tellement bien conçu que rien n’a été altéré au cours des siècles, qu’il s’agisse de la structure ou des objets entreposés, en l’occurrence, tous les trésors de la famille impériale. C’est l’archétype de l’architecture bois. Et s’il abrite des objets parmi les plus précieux, sa conception puise dans les constructions rurales de l’époque, en particulier, les greniers à riz. Il démontre qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre une architecture dite « haut de gamme » et cette autre, plus vernaculaire, qui répond à une nécessité d’habiter, de se protéger et de travailler. 

On retrouve la même filiation dans la villa Katsura (banlieue ouest de Kyoto), qui est l’expression de ce que l’architecture vernaculaire avait de meilleur dans son concept. Dans ma pratique, c’est ce que j’espère laisser transparaître et développer dans le temps. Car il y a deux choses à la clé : d’une part, réhabiliter l’architecture en tant que telle par rapport à ce que proposent les constructeurs, d’autre part, intégrer – et le bois le permet précisément –, à notre vision des espaces intérieurs et leur relation avec l’extérieur, des acquis qui proviennent d’autres cultures. 

Maître d’ouvrage : privé
Maître d’oeuvre : Iwa Atelier d’architecture
Surface : 172,6 m²
Coût total (hors foncier, hors VRD) : 193 k€ HT
Coût du lot bois n° 1 : 173 k€ HT 

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