Concevoir un bâtiment conforme aux exigences environnementales les plus élevées, à l’architecture contemporaine sans brusquer la tradition locale. Le tout en intégrant le bois qui a ici une image parfois dégradée. C’est le triple challenge de l’équipe d’architectes qui a conçu la médiathèque de Saint-Joseph*, à La Réunion.
Situons le contexte : Saint-Joseph est une ville rurale et « le maire était très attaché à la notion de territoire et aux racines culturelles de La Réunion. Sa vision était assez traditionnelle, notamment en termes d’architecture », explique en préambule Nicolas Peyrebonne, architecte en charge du projet. Dès lors, comment concevoir un équipement – une médiathèque en l’occurrence – qui n’existe pas dans la tradition réunionnaise ? Pourtant, cette vision va bel et bien être une porte d’entrée pour la conception de l’ouvrage. « Nous avons donc pris le problème à l’envers en nous interrogeant sur le mode de vie et d’habitat dans la culture de l’île – je parle des cases vernaculaires et non des maisons de maître aux classiques quatre pans avec lambrequins. Nous ne sommes pas partis d’un archétype architectural, mais de l’usage, en essayant d’en reproduire le schéma. »
Le fagot de vétiver
Concrètement, les architectes vont décortiquer les séquences de l’habitat domestique traditionnel. Soit le jardin d’apparat qui fait le lien entre espace public et espace privé, la varangue – espace couvert typique. « Ensuite, nous pénétrons de plus en plus dans l’intimité jusqu’à l’arrière-“kour”, où se trouve la cuisine, l’intime. Nous avons reproduit ce séquençage. » Traduction sur ce programme : le jardin est matérialisé par un parvis ; la varangue ici ponctuée de colonnes de béton, qui ouvre sur un espace d’accueil et d’exposition faisant office de zone intermédiaire entre les deux sphères ; enfin, une intimité grandissante jusqu’à « La kour », qui abrite l’espace jeunesse organisé en une succession de cabanes à l’échelle des enfants.
Autre particularité du projet : il s’est fortement imprégné de la toponymie des lieux réunionnais : « Souris chaude », « Ravine blanche »… Le langage créole est très imagé. Le bâtiment reprend des images – au premier degré – qui renvoient directement à la culture rurale. « Nous sommes ainsi partis du vétiver, une plante très répandue dans le Sud Sauvage et mise en fagots. Nous avons réinterprété l’image de ce fagot posé sur un bloc de basalte pour dessiner la forme très singulière du bâtiment principal. » Avec, en toile de fond, un jeu sur les contrastes entre le noir de la pierre volcanique, le bleu de la mer, le vert de la végétation luxuriante…
MÉDIATHÈQUE DU SUD SAUVAGE
MENTION CLIMAT TROPICAL PNCB 2019
CATÉGORIE APPRENDRE, SE DIVERTIR
Thème : Contrainte climatique
ZONE CLIMATIQUE : Tropicale humide (pas de saison sèche)
Essences utilisées : Pin sylvestre – Moabi
Entreprises bois : Charpente Cénomane (72), Réunion Toiture (97)
Année de livraison : 2017
LIEU : Saint-Joseph, La Réunion
Site Internet : saintjoseph.re
Le bois pour sa faible inertie
Les architectes vont également recourir à des matériaux traditionnels bruts, tels que le bois, pour leur redonner une certaine noblesse à travers leur projet. Sachant que les a priori étaient assez prégnants.
« Ce matériau est longtemps resté un marqueur social fort, il était souvent associé à la pauvreté car les plus démunis vivaient dans des maisons en bois. » En outre, on lui prête – à juste titre s’il n’est pas entretenu – une certaine fragilité sous ces latitudes (climat tropical). « Il fallait donc s’appuyer sur ses qualités pour convaincre de sa pertinence. » Première règle, incontournable ici pour lutter contre les termites et l’humidité : le bois est systématiquement désolidarisé du sol. Le socle est en béton : selon les éléments du programme, soit une dalle sur pilotis, soit un étage complet, soit une structure en portiques béton – le cas du bâtiment principal « Vétiver », zone sismique oblige. Ossature, charpente et bardage sont en pin sylvestre classe 4 autoclave*, issu des forêts françaises. « Nous aurions aimé des bardeaux en bois local ; malheureusement, il n’y a plus qu’un fendeur et il ne pouvait produire les quantités nécessaires. » Les brise-soleil sont, eux, en moabi sans finition.
Pourquoi le bois ? Parce que sa faible inertie permettait de répondre à une double problématique. À savoir, obtenir un bâtiment bioclimatique, sans pour autant le couper, ce qui aurait été contraire au souhait de la Mairie d’avoir une architecture qui fasse écho à l’habitat vernaculaire. Aujourd’hui, les retours sont plus que positifs. « La population se l’est approprié. Cet équipement a redonné du sens à ce lieu ; il en a fait un catalyseur. La médiathèque est devenue un véritable espace de vie. »
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* Lauréat du concours Green Solutions Awards, catégorie Énergie et Climats chauds ; Prix d’architecture de La Réunion ; Prix national construction bois ; OFF du Développement durable…
* Bois classe 4 : davantage stabilisés et imputrescibles, ces bois peuvent être en contact avec le sol, immergé en eau douce ou soumis à des humidifications fréquentes ou permanentes.
Autoclave : traitement en profondeur contre les agressions biologiques (insectes, champignons).
Question à Nicolas Peyrebonne, Co-Architectes
Comment avez-vous « imposé » l’idée du bois ?
La maîtrise d’ouvrage souhaitait un bâtiment bioclimatique, conçu dans le respect de la réglementation métropolitaine. Nous avons abordé cette problématique en nous demandant ce qui caractérisait le plus le mode de vie réunionnais. Et c’est bien sûr l’ouverture constante sur l’extérieur, l’absence de limites nettes entre le dehors et le dedans, avec des espaces tampons, presque floutés. Respecter le terroir… La ruralité excluait de fait la climatisation qui, elle, induit une coupure étanche avec l’extérieur. Là où les choses se sont compliquées, c’est que nous devions néanmoins assurer le confort thermique qui dépend de trois paramètres – température, humidité, vitesse de l’air – qu’il faut travailler ensemble. Pour éviter les surchauffes et maintenir la fraîcheur, le bâtiment est plongé dans un îlot de fraîcheur végétal. De même, il est conçu de façon à avoir peu d’inertie : si celle-ci est nécessaire en métropole pour rafraîchir, ce n’est pas le cas à La Réunion où les différences de température entre le jour et la nuit ne sont pas assez importantes. D’où l’intérêt du bois en façade, ce dernier ne stockant pas la chaleur. Sachant que le bâtiment est aussi fortement isolé et protégé du rayonnement solaire par des brise-soleil. Il n’y a jamais d’ensoleillement direct, chaque entité a été optimisée en termes d’orientation et de protection solaire tout en permettant l’apport de lumière naturelle indirecte.
L’humidité est, quant à elle, évacuée par la ventilation naturelle traversante. Étant donné la largeur importante du bâtiment, une cheminée dépressionnaire, fonctionnant par aspiration de l’air, vient en appoint, ainsi que des brasseurs d’air.
Maître d’ouvrage : Commune de Saint-Joseph (974)
Maître d’œuvre : Co-Architectes (974)
Surface : 2 494 m2
Coût total : 6 100 k€ HT
Bureau d’études thermiques : Tribu (75)